Histoire, récolte, tradition

La récolte du houblon, du XXèmes. à nos jours (pratiques, machines, techniques, ..)

article écrit en collaboration avec Alexandra Berry .

Origines de la culture du houblon

Le houblon est cultivé depuis environ 200 ap. JC. à Babylone et les premiers écrits sur la récolte du houblon datent de 859. Des registres de culture de houblonnière sont retrouvés en 1348 à Žatec (connu maintenant pour la culture du houblon Saaz).*

*C’est au 12ème siècle qu’une première mention écrite du houblon en tant qu’ingrédient dans la bière  – grâce aux recherches et écrits de l’abbesse Hildegarde Von Bingen – apparaît. Dans son encyclopédie naturelle Physica Sacra, cette dernière recense les plantes médicinales et leurs vertus, avec notamment une passion pour le houblon.

L’Empereur Charles IV (1316-1378), Empereur du Saint Empire, a grandement promu cette culture grâce à un décret royal et une interdiction d’exporter les variétés bohémiennes, déjà recherchées par les brasseurs. En 1538, le Prince Christoph von Pappenheim d’Eichstatt, une petite principauté dans l’actuelle Bavière attribua le tout premier sceau et certificat de houblon à la ville de Spalt, au sud de Nuremberg. D’autres principautés environnantes, telles que Žatec, ou encore Plattau, reçurent par la suite le même honneur. Ces sceaux garantissent que les houblons proviennent de la région promue et deviennent un des premiers exemples des appellations de houblons que l’on connait aujourd’hui.

Au XIVème siècle, les régions de Flandres et Bohème étaient les principales ressources de houblons pour les bières produites en Europe.

Les Hop Harvest anglaises

Ces variétés sont importées en Angleterre dès les années 1400s mais encore considérées par les brasseurs locaux comme étant des rajouts illicites (le rajout des houblons dans la bière a même été interdit en 1471 à Norwchich). Ils étaient alors importés de France, Hollande et Allemagne. Il faut attendre 1524 pour que les premiers plants de houblons apparaissent dans le sud-est de l’Angleterre, plus précisément dans le Kent. Avec son terroir propice pour cette plante (des sols riches et beaucoup d’irrigation), la région était également prolifique en bois et en charbon permettant par la même occasion d’y installer beaucoup de séchoirs pour le houblon*.

*Initialement, ce sont les houblons flamands Flemish Red Bines qui ont été plantés, mais ces derniers ne s’adaptèrent pas au climat et terroir anglais. Ainsi de nouvelles variétés ont été créées avec des croisements de culture. Vers la fin du XVIIIème siècle, les Whitebines étaient remplacés par les Goldings. Début XIXème siècle, ce houblon était distribué partout en Angleterre, devenant l’étendard du houblon anglais avec le Fuggle.

Le 19ème siècle fut  l’âge d’or pour l’industrie du houblon, avec des houblonnières s’étendant à travers le pays pour atteindre les 77 000 hectares de culture en 1878. La popularisation de la Pale Ale et de l’India Pale Ale contribua grandement à encourager cette agriculture.

La Pasteurisation (exigeant moins de houblon pour préserver la bière), l’importation de variétés internationales ainsi que l’avènement des Lagers vont mettre à mal cette croissance. En 1909, il ne reste plus que 32 000 hectares de houblonnières à travers le pays.

A peine 23 ans plus tard, on ne compte plus que 16 500 hectares de production confinés aux régions de West Midlands et South Eastern de l’Angleterre. Ces régions deviennent les berceaux de récolte attirant des foules de fermiers quelques mois chaque année qui viennent participer aux récoltes.

Les Etats-Unis : l’El Dorado du houblon

La culture des houblons se répand à l’Amérique au XVIème siècle en croisant différents plants connus et plants indigènes afin de pouvoir s’adapter aux différents terroirs. Importés d’Angleterre initialement, le Massachusetts Bay Colony commande des graines et des plants en 1629 afin de démarrer une agriculture locale. Les premières transactions commerciales de variétés américaines datent de 1648 pour une brasserie dans le Massachussetts. Cet état demeure notamment le plus grand fournisseur de houblon pendant 150 ans. Les houblonnières s’éparpillent dans les états environnants dans la Nouvelle Angleterre (Maine, Vermont, New Hampshire, Massachussets, Connecticut et Rhode Island).*

* Ces houblons à foisons et le renouveau de la Craft aux Etats-Unis vont permettre la création de la New England IPA chez The Alchemist, la célèbre Heady Topper. Pour en lire plus à ce sujet, c’est par ici.

Le climat, le sol fertile et l’irrigation régulière du nord-est des Etats-Unis, ainsi que l’héritage d’agriculture fermière de la région favorise le développement et le rendement des houblonnières. A partir des années 1890, beaucoup de celles-ci sont implantées dans la région de Yakima Valley, reconnue pour ses étés chauds et secs et une irrigation régulière et abondante (grâce à la rivière du même nom), idéale pour la culture du houblon*.

*Vers la fin du 19ème siècle, environ 12 000 agriculteurs et fermiers étaient requis pour faire la récolte annuelle.

Les Techniques de Culture de houblon

Comment cultiver son houblon ?

Le plant de houblon connait le même cycle de vie chaque année. En mars, les houblonniers fixent les lianes de houblons le long de supports métalliques reliés par des cordes en fibre naturelle de coco pour que celles-ci puissent pousser vers le haut et proliférer. L’espace entre chaque support est mesuré de façon précise selon les variétés


                                                                                                                                                                      https://backroadshops.com/

Ce croisement de cordes suit un schéma régulier conçu pour optimiser le rendement et la récolte selon la variété du houblon et peut dépasser les 6 mètres de hauteur.

Le bourgeonnement démarre généralement début avril. A ce moment-là, les houblons sont attachés aux cordes, parfois jusqu’à 2 ou 3 lianes sur une même corde, c’est la « mise au fil ». Cette pratique est encore faite à la main. A partir du printemps, l’irrigation ou l’arrosage des houblonnières démarre et est très étroitement surveillée.

En juin, la majorité des plants s’est développée et fixés sur leur corde, ils démarrent leur croissance et leur épanouissement. Vers la mi-juillet, les plants de houblons ont atteint leur hauteur maximale et commencent à s’épancher. Les premières inflorescences puis cônes se développent. Pendant la saison estivale, le houblonnier doit faire très attention aux éventuelles infections ou pestes qui pourraient endommager les cônes et détruire tout une houblonnière en quelques jours. Les orages de grêle sont également extrêmement dévastateurs.

Vient ensuite le moment de déterminer quand les cônes sont prêts à être récoltés ! Même s’ils exhument une odeur puissante, il faut faire attention au taux d’humidité du cône afin d’éviter une récolte prématurée ou tardive. Les houblonniers surveillent de près leurs houblons à partir de la mi-août pour ne pas rater le créneau optimal.


                                                                                                               https://www.magneticmag.com/2018/10/celebrating-oregons-annual-hop-harvest-in-portland/

Quand récolter son houblon ?

Le plant de houblon est très résistant aux intempéries et au climat et ses extraits créent un environnement hostile aux micro-organismes, ce qui protège les fleurs contre la plupart des infections. Ceci explique également les vertus préservatrices du houblon dans la bière. La seule bactérie qui arrive à survivre est la levure, faisant du houblon l’aromatisant idéal pour le brassage.

Il n’y aura pas de date précise préconisée pour cultiver le houblon, cette dernière dépendra de la position géographique de la houblonnière, de son sol, de sa météo et de son cultivar. Généralement, la récolte démarre aux environs de la fin du mois d’août et peut durer jusqu’à Octobre. De ce point de vue, certaines variétés sont dites « précoces » (Tettnang, Saphir, Styrian Gold,…) « moyennes » (Cascade, Amarillo®, Perle,… ) ou « tardives » (Spalter Select).

Les houblonniers repèrent le moment idéal pour récolter en se fiant aux cônes principalement. La première approche est empirique et basée sur l’expérience et le savoir-faire du houblonnier : il faut frotter le cône dans ses mains pour analyser la maturité de la feuille et extraire la lupuline. La pointe des feuilles peut être légèrement rousse ou commencer à s’ouvrir, on y voit la lupuline de couleur jaune foncé, les cônes, fermes, se froissent dans les mains et dégagent une odeur caractéristique de résine.

La seconde s’appuie sur des analyses en laboratoire pour contrôler le taux d’humidité du cône qui doit être autour de 80%. Ceci se fait en procédant à un échantillonnage qui est ensuite séché. Le houblonnier peut alors comparer le poids du cône séché par rapport au cône frais pour déterminer son taux d’humidité.

Une étude menée à Oregon State University en 2011 montre que la composition des huiles essentielles d’un houblon varie selon sa date de récolte. Les analyses soutiennent l’idée que l’intensité et la qualité des arômes augmentent si un houblon est cueilli tardivement. Attention à ne pas trop attendre cependant car une maturité excessive, si elle est bonne pour la « mise en réserve de la plante » (comprenez les réserves que la plante va faire avant l’hiver et pour la saison prochaine), l’est beaucoup moins du côté des propriétés organoleptiques du houblon. Le bon moment de la récolte est aussi celui qui permet au producteur un planning optimal – récolte/séchage/mise en balles – de ses différentes variétés. Bref, récolter son houblon comme il faut est un savant mélange d’expérience, de science et de gestion !

L’évolution de la récolte de houblon

Avant la mécanisation des récoltes – nous y revenons plus bas – celles-ci se faisaient à la main. C’était (et ça l’est toujours pour certains agriculteurs !) un travail épuisant et chronophage. Les lianes de houblons sont coupées pour que les cônes puissent ensuite en être détachés, un par un.


                                                                                                                                           https://rarehistoricalphotos.com/hop-pickers-kent-old-photos/

Historiquement, les fermiers recrutaient en masse pour cette saison de récolte, des phénomènes sociologiques qui ont fortement marqués la vie agricultrice de l’Angleterre par exemple. En effet, le Kent est une région prolifique en houblon depuis plusieurs siècles et durant le 19ème, elle vit de fortes affluences de familles venues de grandes villes industrielles d’un peu partout dans le pays (Londres, Birmingham principalement) pour travailler pendant les récoltes. Ces familles s’installaient pour une durée de 3 semaines à deux mois.


                                                                                                                                            https://rarehistoricalphotos.com/hop-pickers-kent-old-photos/

Cette activité agricole prend tellement d’ampleur qu’elle se dote même de sa propre monnaie pour rémunérer les fermiers. Les pièces de monnaie étaient estampillées de petites illustrations de houblons et spécifiques à chaque producteur/ferme.

En 1922, la première machine de récolte de houblon est importée des Etats-Unis pour être utilisée chez un houblonnier à Worcester. La récolte mécanique devient plus largement pratiquée à partir des années 1950s, se démocratisant tout d’abord dans les West Midlands. La première récolteuse mécanique anglaise voit le jour en 1934.

Depuis les années 1950s, les récoltes mécaniques se sont intensifiées, mais la production de houblon reste une activité fortement consommatrice de main d’œuvre. Les fermes productrices, où qu’elles se trouvent dans le monde, font appel à des ouvriers saisonniers pour la mise au fil et la récolte notamment. Certaines opérations ne pouvant se faire avec des machines, le houblon reste une histoire d’hommes et de femmes 😉

Les « Hopper Huts » qui logeaient les saisonniers, parfois dans des conditions vraiment insalubres, furent détruites ou restaurées en maisons modernes ou encore transformées en musées.

Les machines dont il est question, ont des bras qui « attrapent » et entraînent les lianes à l’intérieur du système où les cônes sont détachés de leur support ; triant ces derniers d’un côté des lianes et feuilles qui seront ensuite compostées. Pouvant trier 2 à 3 lianes par minute plutôt que une par heure manuellement, ces machines ont révolutionné le processus de récolte. Ces triages peuvent être mobiles pour faire le triage dans les houblonnières. Elles peuvent aussi trier les houblons des feuillages.

Une machine permettait de remplacer une centaine de fermiers et réduisait le temps de main d’œuvre de 90% et le coût de production d’au moins 20%.

*La taille des fermes s’est vu accroître considérablement. Aux Etats-Unis, dans les états de Washington et Oregon, certaines passèrent de 400 hectares à 6000 hectares en moyenne de nos jours. Les exploitations étasuniennes sont significativement plus importantes que partout ailleurs dans le monde.

     
                                                                                                                                    https://stocksfarm.net/the-harvest-workshorse-the-bruff-hop-picker/

La récolte de houblon est une tradition encore célébrée à ce jour dans certains endroits. En Angleterre ou en Allemagne, certaines villes se métamorphosent pour le harvest avec des houblons accrochés partout et ornant les vitrines, des fanfares, et les habitants se réunissant pour récolter ensemble le houblon frais. Certaines brasseries en France produisent annuellement maintenant leur Fresh Hop Beer, avec des houblons brassés le jour de leur récolte.

La Strisselspalt de Deck & Donohue, La Parisienne et son Intramuros, la Cueillette de la brasserie Duchmann

La brasserie De Ranke a créé sa Hop Harvest, une bière brassée avec du houblon cultivé le jour même, promue sous la désignation « Beaujolais de la bière ». A consommer à travers le monde le 3ème jeudi du mois de Novembre, tout comme le Beaujolais, cette célébration met à l’honneur le houblon, mais aussi l’artisanat, la culture et les traditions oubliées du style.

Une tradition à transmettre et à célébrer

Historiquement un moment célébré et communautaire, la mécanisation de la récolte de houblon a tout de même contribué à l’oubli de la tradition et du côté cérémoniel qui accompagnait la période de récolte. Permettant en effet d’accroître les rendements en diminuant les coûts de production, certains agriculteurs et brasseurs reviennent pourtant aux racines de la tradition avec des récoltes manuelles organisées de façon ponctuelle et festive. Les Harvest Ales, (bières de récolte), sont un rappel de la tradition historique des brasseurs : de pouvoir brasser des bières uniques, avec des houblons frais.

Tout comme le Beaujolais en Novembre, célébrons annuellement ces récoltes de houblons nous permettant de savourer nos bières préférées ! N’hésitez pas à vous renseigner pour savoir quelles brasseries, fermes ou houblonnières organisent encore des récoltes manuelles chaque année.

SOURCES :

Berry, A., (R)Evolution et Artisanat au Service de la Bière, (2021) Editions Baudelaire.

www.hopenhoublon.fr

https://rarehistoricalphotos.com/hop-pickers-kent-old-photos/

https://americanhopmuseum.org/history

http://www.britishhops.org.uk/
https://backroadshops.com/

https://www.oregonencyclopedia.org/articles/hop_industry/#.Y0-hKXZBy3A

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