Fermentation spontanée, wild

Comment utiliser de « vieux » houblons ? Dans les fermentations spontanées bien sûr !

article écrit en collaboration avec Alexandra Berry 

Les brasseurs ont un réflexe assez naturel pour sélectionner leurs houblons : choisir les houblons les plus frais et aromatiques possibles. En effet, avec le temps et surtout avec le contact avec l’air un houblon peut s’oxyder, et donc perdre de ses huiles aromatiques, mais aussi ses composants acides qui donnent l’amertume à la bière.

Que faire avec ses vieux houblons du coup ?

Ceux-ci seront très précieux pour le brassage d’une bière à fermentation spontanée ou destinée à être vieillie en barrique. Nous allons donc explorer pourquoi !

Avant de poursuivre, attention à bien différencier une bière à fermentation spontanée (aussi appelée wild) d’une sour. Une sour est une bière qui, comme son nom anglais l’indique, a été acidifiée ; que ce soit artificiellement ou bien par fermentation spontanée. Une sour beer peut être très amère en plus d’être acide, extrêmement aromatique sans aucune fermentation spontanée. C’est un brassin qui aura été acidifié (avec des acides lactiques par exemple) afin de donner des notes acidulées à la bière finie.

Ici nous allons parler spécifiquement des houblons dans les bières de fermentation spontanée, ou la wild, dont la fermentation aura été produite grâce aux levures indigènes présentes dans l’environnement naturel du brassin. Cette fermentation peut se faire à l’air libre (le cas des lambics par exemple) ou en barrique. Ce sont généralement des bières qui séduisent grâce aux notes acidulées, aux touches boisées s’il y a eu un vieillissement en barrique et par leurs nuances assez fermières. Elles offriront donc peu voire aucune amertume et vous n’y retrouverez pas les aromatiques fruitées que l’on retrouve dans certaines sours houblonnées.

Un lambic belge traditionnel est fermenté de façon spontanée grâce aux microbes présents dans l’air avant d’être vieilli. Une Gueuze quant à elle sera composée d’un assemblage de lambics vieillis de un à trois ans. Les houblons n’auront donc plus aucune propriété aromatique ou amérisante. Le but de ces styles est de mettre en avant la levure et éventuellement les nuances boisées conférées par le vieillissement.

Les houblons ne sont pas au-devant de la scène dans les wilds.

Au contraire, le brasseur va veiller à limiter la création d’amertume et doit donc bien sélectionner et manipuler les houblons.

Entrent en scène les aged hops, les houblons vieillis ou surannés.

Qu’appelle-t-on aged hop ?

Un houblon suranné désigne un houblon qui est oxydé par suite d’un contact long ou marqué avec l’oxygène. En effet ce vieillissement va provoquer l’oxydation de ses acides et huiles. En général, les brasseurs essaient d’éviter cela en conservant leurs houblons sous vide d’air (voire sous atmosphère protectrice dans le meilleur des cas) au frigo ou congélateur afin de conserver la fraîcheur, les acides alphas et bêta ainsi que toutes les huiles présentes dans les cônes et les pellets. C’est ainsi le meilleur moyen de produire des brassins aromatiques et riches en amertume.

Pour une sour, particulièrement de fermentation spontanée de type Lambic ou Gueuze, des houblons frais ne conviendraient pas et viendraient contraindre l’acidification du brassin.

L’oxygène est le facteur le plus important pour la « dégradation » du houblon, mais la température ambiante ainsi que le taux d’humidité vont également contribuer à son vieillissement. Les acides alpha et béta s’oxydent et produisent des arômes plus astringents, certains y reconnaissent même des arômes fromagers !

Des cônes de houblons séchés et vieillis
Source : https://www.themadfermentationist.com/2011/05/american-lambic-spontaneous.html?m=0

Pourquoi privilégier les aged hops dans une wild ?

Vu qu’une bière de fermentation spontanée sera souvent fortement exposée à l’air ambiant, l’oxygène et les bactéries environnantes, elle ne pourra de toutes façons pas conserver les huiles, acides et propriétés aromatiques des houblons. Il sera donc inutile d’ajouter des houblons frais et aromatiques dans un brassin destiné à être acidifié ou vieilli en foudre ou barrique.

Ne vous attendez pas à retrouver les arômes verts, floraux ou fruités de houblons dans votre verre de wild (à part pour une qui aurait été houblonnée à cru). Ces arômes frais vont être remplacés par des nuances de renfermé, de ferme ou encore des notes terreuses qui se prêtent parfaitement au style traditionnel du lambic. L’amertume des houblons sera bien moindre car les acides alpha auront donc été dégradés par l’oxygénation de la bière. L’idéal pour une bière de fermentation spontanée !

Pour autant, les houblons surannés conservent toujours leurs propriétés antimicrobiennes et peuvent ainsi contribuer à préserver la bière. Les cônes ou pellets aident en effet toujours à réguler les bactéries d’acides lactiques et à contrôler la production d’acidité dans le brassin, particulièrement dans les brassins de fermentation mixtes ou spontanées.

Enfin, bien que le taux d’IBU des houblons ne sera jamais très élevé dans ces styles, une légère touche d’amertume peut contribuer à créer des saisons sauvages ou des «farmhouse ales » légèrement acides pour des styles expérimentaux.

La brasserie The Kernel produit de bons exemples de farmhouses à fermentations spontanées, souvent aux fruits, qui présentent tout de même une réelle amertume en bouche ! Un cas d’école pour les amateurs de ce style.

Jeff Stuffings, brasseur de Jester King, préfère également les aged Hops pour ses saisons rustiques. Il y explique son processus ici : https://beerandbrewing.com/video-tip-embracing-hops-for-farmhouse-ales-and-table-beers/

Comment choisir ses houblons ?

Les brasseurs belges ont tendance à favoriser les houblons européens, dits « nobles » avec des nuances plutôt vertes, épicées et terreuses (Tettnang, Saaz, Target ou encore du Hallertau). La préférence de la majorité des brasseurs se portent davantage sur les houblons en cônes que pelletisés. Si vous souhaitez utiliser des pellets, il est conseillé de les broyer afin d’optimiser au maximum leur oxydation. Certains les font vieillir jusqu’à trois ans dans un environnement plutôt chaud.


Des houblons
Perle qui vieillissent chez Cantillon.
https://www.lambic.info/Brewing_Lambic

Un houblon non réfrigéré et stocké au contact avec l’air libre pendant six mois pourra également être utilisé pour les brasseurs ayant moins d’espace de stockage. L’essentiel étant la mise en contact avec l’oxygène pour oxyder- précisément ! – les cônes ou les pellets.

Demandez à votre fournisseur de houblons s’il a de vieilles récoltes à vous vendre ! Souvent moins cher qu’un houblon frais, vous pourrez tomber sur de vraies pépites pour vos brassins.

Pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas faire vieillir leur houblon, il faut miser sur des pellets ou cônes avec un taux d’acide alpha le plus bas possible.

Les houblons peuvent être vieillis en cônes ou en pellet, tant qu’ils auront bien été séchés auparavant. Attention, il ne faut pas faire vieillir des « fresh hops », houblons fraîchement récoltés qui n’ont pas été séchés. Ceux-ci vont juste moisir !

Comment brasser avec ces houblons ?

Certains brasseurs de lambics rajoutent leur houblon très tôt dans le process de brassage, directement dans le moût (first wort hopping) ou bien dès l’ébullition pour apporter de l’amertume, des antioxydants polyphénoliques et une résistance bactérienne aux cellules du moût. La longue chauffe permettra l’isomérisation des acides alpha et donc la création d’amertume sans pour autant conserver les arômes du houblon. Ainsi, un lambic qui vient d’être brassé peut être étonnamment amer. Les calculs d’amertume doivent être effectués en utilisant l’analyse d’acide alpha originale du produit, et non la plus récente.

Le houblon peut être ajouté au brassage en vrac, dans des sacs à mailles ou via des systèmes de dosage conçus sur mesure.

En raison de la nature oxydée du houblon vieilli, il n’est pas recommandé d’effectuer des ajouts dans le whirlpool ou après ébullition. Les ajouter côté froid (en dry hop) ne servira à rien en raison toujours de l’oxydation des houblons (aucun apport aromatique).

La fermentation spontanée qui s’en suivra permettra de créer l’acidité et donnera au lambic ses notes épicées, terreuses ou encore légèrement boisées.

Cantillon utilise des houblons qui ont environ 3 ans de vieillissement. 3 Fonteinen rajoute des houblons de 10 ans à environ 48 min d’ébullition. Le dosage moyen de houblon pour un lambic est de 450gm/hl de bière finie, à rajouter à environ 43 minutes d’ébullition.

Bref, à vous de brasser !

Sources :

https://www.mobcraftbeer.com/2017/05/26/aged-hops/

https://www.milkthefunk.com/wiki/Hops

https://www.mobcraftbeer.com/2017/05/26/aged-hops/

https://www.themadfermentationist.com/2011/05/american-lambic-spontaneous.html?m=0

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