Article écrit en collaboration avec Alexandra Berry.
Bien qu’assez discret, le houblon français a une longue histoire remontant au VIIIème siècle. Déjà retrouvé dans des ordonnances royales de Pépin le Bref, Roi des Francs (714-768), il remplace peu à peu les plantes aromatiques dans la Cervoise, créant ainsi cette boisson qui nous est tant chère : la bière.
Déjà reconnu et répertorié comme ingrédient de la bière par l’Abesse Hildegaarde de Bingen en 1070, il faudra attendre le XVIIème siècle pour que cette plante fasse sa place dans les Flandres, et encore jusqu’au XIXème siècle pour que sa culture soit réellement promue et développée en Alsace. C’est le brasseur allemand François Derendinger qui, avec 800 plants rapportés de ses voyages en Bohème, implante la culture du houblon dans la région de Haguenau. Parmi ses plants se trouvait du Saaz, considérés comme la souche initiale du houblon d’Alsace.
Au début du XXème siècle, le houblon se développe sur plus de 6 900 hectares de production, dont 58% se trouvent en Alsace, le reste dans le Nord, la Côte d’Or et la Lorraine. Dès 1916, avec la popularisation de la bière, la production française de houblon est alors jugée insuffisante.
« (…) Parmi les produits agricoles pour lesquels nous sommes tributaires de l’étranger, se trouve le houblon (…) avant les hostilités, la consommation de bière s’accroissait d’une façon étonnante tous les ans : et malheureusement nous faisions trop honneur au Munich et au Pilsen (…) », « (…) les industries du Nord et de l’Est de la France ont déjà fait de grands progrès depuis quelques années pour la fabrication de la bière. Quant au houblon qui est cultivé dans différentes régions de notre beau pays, tout est à faire (…). ». Jean Masson, 1916, dans sa thèse présentée à l’Institut d’Agriculture de Beauvais.
Plusieurs agriculteurs et chercheurs œuvrent à démontrer le potentiel du houblon français et la valeur du terroir français pour l’industrie brassicole :
« Toutes les conditions de sol et de climat, se rencontrent sur de nombreux points du territoire français. Il y a donc lieu de penser comme conclusion que la culture du houblon pourrait se propager en France avec succès. ». Mr. Moreau, 1905, professeur à l’ENIA de Douai.
C’est la première guerre mondiale qui va tout d’abord heurter cette croissance, divisant la surface de production par deux. Cette perte est légèrement rattrapée entre les deux guerres, période de croissance de surfaces de cultures mais aussi de prix, en raison d’importants problèmes de mildiou chez les producteurs allemands (et donc de rareté accrue sur les marchés). On parle de l’âge d’or du houblon de 1927 à 1929 avec des prix jamais atteints auparavant.
Cette revalorisation ne durera malheureusement pas longtemps, avec une chute progressive précédent la seconde guerre mondiale. La France occupée perd sa culture, les Allemands limitent la production à 500 ha de houblon.
Il faudra attendre les années 1960 pour que cette production renaisse timidement de ses cendres. Dans les années 1980, la France ne compte que 685 ha dont 90% sont situés en Alsace. Ceci est accentué par un gros contrat passé avec Anheuser Bush en 1970 qui permet de relancer la production régionale et faire connaître la variété locale : le Strisselspalt.
Les années 2000s voient une progression très lente de la production qui est enfin relancée en 2014, avec la mode des bières « crafts » qui nous est venue des USAs. Comme le montre le graphique ci-dessous, nous sommes encore bien loin de l’âge d’or du houblon du XIXème et XXème siècle, mais avec le terroir et l’influence agricole et brassicole française, cette plante verte saura vite retrouver sa place dans nos cultures. Cela ne fait pour nous aucun doute !
Le houblon en France aujourd’hui
Les premiers producteurs de houblons au monde sont actuellement les Etats-Unis et l’Allemagne. La France arrive en 11ème position, dotée de 540 ha en 2022 dont 96% en Alsace. Seuls 50 ha de cette surface sont certifiés bios, malgré la forte demande de la part des brasseurs. Cette demande pour le bio ne cesse de croître, reflétant d’ailleurs la multiplication de microbrasseries (le nombre ayant plus que triplé entre 2012 et 2018).
Pour répondre à cette demande, certaines régions (parfois inattendues) se sont tournées vers la culture du houblon. Celles-ci sont aidées par plusieurs entreprises, organismes et associations promouvant le renouveau du houblon français tels que Hopen, HOP France, Houblons de France, ou encore des collectifs plus localisées comme Bière de Provence.
Avec la croissance de microbrasseries en France, de plus en plus portées sur le local, de plus en plus de houblonniers se créent afin de pouvoir répondre à cette demande. L’Ouest est particulièrement visée par ces installations et un statut associatif a été créé en 2018 pour les soutenir grâce à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire : « Houblons Grand Ouest ». Ces groupes de houblonniers peuvent espérer recevoir la reconnaissance officielle de GIEE, Groupement d’Intérêt économique et écologique.
Quelles sont les variétés de houblon françaises ?
Aramis : Utilisation aromatique avec un taux d’Alpha de 8% environ. Son profil aromatique est herbeux et floral, parfois avec des notes de citron. Créé en 2009, l’Aramis est la première nouvelle variété issue du programme de recherche variétale du Comptoir Agricole.
Barbe Rouge : Variété dérivée du Strisselspalt, il est considéré comme DUAL, donc à la fois amérisant et aromatique. Avec des notes très fruités et particulièrement de fruits rouges, il a un taux d’alpha compris entre 8 et 10%.
Bouclier : Issue du programme de recherche variétale partageant ses origines entre la France et l’Angleterre, créée en 2005 issue d’un croisement entre le houblon Strisselspalt et un plan mâle anglais. Ses arômes sont fins herbacés et épicés et son taux d’alpha acide varie entre 3 et 5%.
Elixir : Ce houblon a été créé en 2016, initialement appelé le GS10. C’est un houblon très aromatique, au taux d’alpha acide de 6%, créé pour pouvoir produire des IPAs très aromatique avec du houblon français. De fortes nuances de fruits et d’agrumes s’expriment particulièrement en houblonnage à cru.
Mistral : Le Mistral est un houblon particulièrement aromatique avec des notes de jasmin et de rose. Certains y trouvent également des notes de fruits blancs comme du lychee ou même du raisin blanc. Issu du programme de recherche du Comptoir Agricole, c’est un croisement entre une femelle Cascade et un mâle Strisselspalt. Avec un taux d’alpha entre 6.5 et 8.5% il peut également être utilisé en amérisant.
Strisselspalt : Également aromatique, son taux d’alpha est compris entre 3 et 5%. Il peut offrir des notes épicées ou florales, d’agrumes et de fruits. C’est un houblon très noble et fin, privilégié ainsi pour un houblonnage à cru pour conserver ses notes de citron.
Tardif de Bourgogne : Ce houblon aromatique est cultivé en petites quantités dans la région d’Alsace et offre un taux d’acide alpha compris entre 3 et 6%. Très difficile à trouver sur le marché, c’est une variété qui a disparue de la culture française et a été remis sur la carte brassicole grâce à Locher-Hopfen, houblonnier à Tettnang ayant retrouvé cette variété en Haute-Marne. Issu d’une sélection clonale d’une ancienne variété française, il dévoile des nuances douces et herbacées de laurier, d’anis, ou encore pour certains, d’abricots. (Nous l’avons trouvé certifié Bio de l’autre côté de l’océan…et oui…)
Triskel : Un houblon au taux d’alpha de 8-9% aux nuances florales et avec des agrumes. Il est le fruit d’un croisement entre le Strisselspalt et une variété anglaise appelée Yeoman. Il offre ainsi les mêmes notes aromatiques d’agrumes et de fleurs mais peut également être utilisé en 1er houblonnage pour une amertume prononcée.
Ces variétés se font adopter par les brasseurs pour leur finesse, se rapprochant des houblons nobles de régions germaniques. Les recherches variétales continuent afin de développer des houblons aromatiques permettant de produire les IPAs juteuses et fruitées qui sont dans la tendance de la scène craft. Les variétés classiques mentionnées plus haut permettent de créer de superbes saisons, Pils ou encore des Sours intéressantes et complexes.
Autre phénomène français : l’intérêt pour le houblon bio. Selon Hopen, 70% des nouveaux porteurs de projets brassicoles sont tournés vers le bio. Cette demande se reflète sur les cultures, bien qu’il faille attendre 3 ans afin d’obtenir la certification bio pour un hectare de houblon en conversion. Et oui le Bio, cela se mérite !
Pour répondre à la demande des brasseries, de plus en plus de houblonnières voient le jour en France et se lance dans la culture de variétés françaises. La France va pouvoir à nouveau se vanter d’un terroir brassicole !
Sources :
https://www.comptoir-houblon.fr/
https://www.france-houblon.fr/